Chapitre 1 - Le cœur de ville au MoMA (Museum of Modern Art)
Le tirage original réalisé par le photographe est conservé au MoMA de New York ; le négatif, lui, à la Médiathèque de l’architecture et du Patrimoine.
La Grande Rue
La photographie en couverture représente le 43 « Grande Rue », du nom de l’artère principale de la ville qui la traverse du Nord au Sud. Son tracé est initialement celui d’une voie romaine sur laquelle, quelques siècles plus tard, les pèlerins du chemin de Saint-Jacques de Compostelle feront halte - la première auberge se situant au niveau de l’actuel 114 avenue du Général Leclerc. Plus tard encore, quand les diligences changeaient régulièrement leurs chevaux, Bourg-la-Reine proposait un premier relais de poste sur cette route joignant Paris à Orléans.
Héritage de cette évolution, la « Grande Rue » concentre toujours en 1901 la majorité des habitations et des commerces. La population est alors de 4159 habitants répartis dans 418 maisons ; une trentaine de commerces et 70 ateliers sont en activité.
Jusque dans les années 1920 et la construction de lotissements à la périphérie de cet axe, la ville présente une allure de « village-rue » : les maisons accolées se succèdent et bénéficient à la fois d’un accès direct sur la route principale et sur les jardins ou les champs à l’arrière.
Sur cette artère circule l’« Arpajonnais », tramway reliant depuis 1893 le centre de Paris au sud de l’Essonne et sur lequel sont marqués trois arrêts : Faïencerie, Place Condorcet et Petit Chambord.
Les arrêts de l’Arpajonnais :
Faïencerie :
Place Condorcet :
Petit Chambord :
Eugène Atget
Fasciné par l’évolution urbaine, Eugène Atget a photographié méthodiquement la ville ainsi que ce qui en constitue l’identité historique.Avant d’entamer une série de clichés consacrée aux rues pittoresques de différentes villes de banlieue, il avait identifié à Paris les architectures remarquables ou qui témoignent d’une histoire, considérant le médium de la photographie comme un moyen de sauvegarde.
Dans un Paris bouleversé par les récents remaniements du Baron Haussmann, Atget a ainsi cherché à en documenter les mouvements. Les quartiers anciens appelés à disparaître ou les petits métiers condamnés par l’essor des grands magasins sont ses sujets de prédilection.
À la suite de ce travail typologique et systématique des lieux potentiellement menacés de destruction, il sera considéré comme le père fondateur de la photographie moderne introduisant la notion documentaire à l’art photographique.
De Bourg-la-Reine au MoMA
Il aura fallu l’intermédiaire de l’américaine Berenice Abbott pour révéler et diffuser ce nouveau genre photographique. Venue à Paris en 1921, elle le rencontre et, attirée par la méthodologie de son travail, rachète une partie de ses tirages après la mort de celui-ci en 1927.
De retour en Amérique, la photographe se distingue par son activisme en faveur de la reconnaissance internationale d’Eugène Atget. Elle n’aura de cesse de défendre l’œuvre : « On se souviendra de lui comme d’un historien de l’urbanisme, d’un véritable romantique, d’un amoureux de Paris, d’un Balzac de la caméra, dont l’œuvre nous permet de tisser une vaste tapisserie de la civilisation française ».
C’est la raison pour laquelle, cette photographie se retrouve dans les collections du Museum of Modern Art à New York.
La photographie du 43 Grande Rue
Bourg-la-Reine a donc été photographiée par Eugène Atget. Plus précisément, ce sont ses attributs urbains qui sont immortalisés : la rue principale, ses commerçants et leur portée historique.
Car ici, il place au centre de sa composition une maison d’architecture médiévale caractérisée par son encorbellement, c’est-à-dire l’avancée de l’étage en porte-à-faux sur le trottoir, appelée à disparaître. De part et d’autre seulement se trouvent les boutiques, dont l’une est en pleine activité.
Cette activité est retranscrite par l’utilisation d’une pose longue : les sujets en mouvement apparaissent sous forme de traces transparentes aux contours flous. Par opposition, les femmes regroupées sont immobiles et nettes. Les ombres portées nous indiquent que ce cliché a été réalisé en fin d’après-midi ce qui autorisait certainement à prendre la pose !
Les rails de l’Arpajonnais au premier plan ainsi que les fils électriques surplombant la façade, introduisent des éléments de modernité. Et ces références contemporaines au cliché forment un cadre dans le cadre pour en accentuer l’effet. Par ces jeux de traitement, Atget cherche à signifier que si la photographie est un travail lié au temps et à l’espace, le sujet représenté est tout autant soumis à l’époque et au lieu.
Précisons que la technique employée par Atget (ses négatifs sont des plaques de verres sensibilisés) ne permettait pas de traitement ultérieur sur le cadrage : lors de la prise de vue, tous les éléments de composition étaient réfléchis et le tirage papier conforme au négatif. Voilà qui explique également pourquoi ne figurent pas les adhésifs à la droite de l’image sur la photographie conservée par le MoMA.