Jean Grenier (1898-1971)

Le 5 mars dernier nous avons commémoré le cinquantenaire de la disparition de Jean Grenier. Philosophe, écrivain et critique d’art, il avait élu domicile à Bourg-la-Reine en 1952.

Quand Jean Grenier s’installe à Bourg-la-Reine, il tient déjà une place importante dans le monde intellectuel de la seconde moitié du XXe siècle. C’est d’ailleurs l’une des raisons de ce choix : proche des milieux littéraires et artistiques, Bourg-la-Reine est une banlieue parisienne particulièrement accessible au réseau qu’il côtoie. Nicolas de Staël, Pierre Soulages, René Char, Jean Paulhan, Henri Bosco, Albert Camus et Henri Michaux lui rendent visite. Ces artistes, peintres ou écrivains, retrouvent en écho Jean Grenier le philosophe.

La philosophie est la première occurrence de son parcours. Né à Paris en 1898, il grandit en Bretagne à Saint-Brieuc et poursuit des études de Lettres au lycée Louis le Grand puis à la Sorbonne avant d’obtenir l’agrégation de philosophie en 1922. L’année suivante, il l’enseigne. Aux terminales et classes préparatoires dans des lycées (Avignon, Alger, Naples, Albi, Vanves, Montpellier) ; dans le supérieur après avoir passé sa thèse de doctorat en 1936 (Lille, Alexandrie, Le Caire, Paris).

Sur cette photographie, Jean Grenier pose dans le jardin de sa maison de Bourg-la-Reine.

 

À Alger, entre 1930 et 1933, il sera le professeur d’Albert Camus. Ce serait anecdotique si les deux hommes n’avaient pas ensuite - jusqu’à la mort accidentelle de Camus en 1960 -entretenu et nourri un intense lien intellectuel doublé d‘une abondante correspondance. Quand Camus publie L’envers et l’endroit en 1937, il le dédie à Jean Grenier ; quand le roman Les Îles de Jean Grenier est réédité en 1959, Camus le préface sans cacher ni l’admiration qu’il porte à ce « bon maître » - comme il se plaisait à le nommer -, ni l’influence que ce maître exercera sur ses réflexions.

« Je ne dois pas à Grenier des certitudes qu’il ne pouvait ni ne voulait donner. Mais je lui dois, au contraire, un doute, qui n’en finira pas et qui m’a empêché, par exemple, d’être un humaniste au sens où on l’entend aujourd’hui, je veux dire un homme aveuglé par de courtes certitudes » écrira-t-il en préface.

En 1944, quand Albert Camus lui demande de prendre la rubrique artistique du journal « Combat »cet humanisme se révèle dans la démarche des premières critiques : pour écrire sur l’art, Jean Grenier s’intéresse aux artistes en allant à leur rencontre, en nouant des liens. Sans aucun préjugé, il visite leurs ateliers, le lieu-même des réalisations ; pour décrire l’esthétique d’une époque, il laisse les peintres s’exprimer librement tant sur leur processus de création que sur leur conception de l’art. La première de ces visites d’ateliers paraît le 3 novembre 1944 sous le titre « Chez Pablo Picasso ».

Il publiera plusieurs essais sur la peinture contemporaine et son évolution (L’esprit de la peinture contemporaine, 1951 ; Entretiens avec dix-sept peintres non figuratifs, 1959). Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la création artistique connaît un profond bouleversement lié aux traumatismes de la période. Les artistes sont amenés à inventer un nouveau langage pictural pour exprimer les changements sociétaux : de même que les peintres s’interrogent sur des moyens d’expression plus spontanés et intuitifs, Jean Grenier s’emploie à mettre des mots sur l’abstraction de la représentation. Entre 1959 et 1961, certaines de ses rencontres seront diffusées par la RTF (Radio-diffusion Télévision Française) sous forme de courts entretiens dans l’émission « L’Heure de Culture Française ».

Parallèlement, Jean Grenier écrit régulièrement pour des revues de référence dans le domaine de l’art telles « L’Oeil », « La galerie des Arts » ou « XXe siècle », collabore avec de nombreux journaux généralistes et littéraires comme « L’express », « Le Nouvel Observateur », la « NRF ». C’est d’ailleurs pour La Nouvelle Revue Française qu’il avait réalisé dès 1927 ses premières critiques littéraires et par le biais de la maison Gallimard qu’il s’était lié d’amitié avec André Malraux et Jean Guéhenno.

De 1962 à sa retraite en 1968, il occupe la chaire d’esthétique et de science de l’art à la Sorbonne, tout en continuant de produire une œuvre riche, récompensée en 1968 par le Grand prix National des Lettres - après la parution de Albert Camus - Souvenirs et La Vie quotidienne.

À la fin de l’année 1970, Jean Grenier est victime d’un infarctus. Il est hospitalisé et meurt le 5 mars 1971.